La vision d’un architecte, interview de Jean Nouvel (Ateliers Jean Nouvel)
Jean Nouvel détaille ici la vision singulière qui l’a amené à concevoir deux tours asymétriques et inclinées : Duo 1 – 180 mètres de hauteur répartis sur 39 étages – et Duo 2 – 122 mètres de hauteur répartis sur 27 étages. Deux bâtiments spectaculaires qui s’insèrent dans leur environnement en jouant sur les jeux de reflets alentour et viennent marquer durablement le paysage du sud-est parisien.
« Jouer avec les reflets, de jour comme de nuit. La légère inclinaison permettra d’aller chercher ces jeux d’optique et de multiplier les images en mouvement. Les tours se pencheront comme si elles passaient la tête par la fenêtre pour regarder la perspective de l’avenue de France. Elles dialogueront comme deux danseuses en équilibre. »
Architecte des Tours Duo
Comment avez-vous inscrit le projet architectural des Tours Duo dans l’histoire et le contexte du quartier, qui s’est beaucoup transformé ces dernières années ?
L’objectif était d’affirmer un caractère et une singularité en relation avec la réalité du site pour en révéler la particulière beauté, s’appuyer sur elle pour inventer et renforcer l’attractivité du lieu. Trois caractéristiques ont été prises en compte parmi d’autres pour orienter ce projet : la perspective de l’avenue de France, sa situation en limite de l’un des axes ferroviaires majeurs de la capitale et sa position en bordure du périphérique parisien, dont il devient un élément identitaire.
Culminant à 180 mètres, ces Tours ont également la caractéristique d’être inclinées de 5 degrés, plus que la tour de Pise : pouvons-nous parler d’un nouveau repère dans l’est parisien ?
Au départ, l’implantation de ces tours dans le document d’urbanisme ne leur conférait pas un statut de point de repère directement lié à la perspective de l’avenue de France. Ainsi, depuis le trottoir de la Bibliothèque nationale de France, elles n’étaient pas visibles. D’où l’idée d’intégrer une légère inclinaison des tours, de nature à les faire apparaître… Ce déhanchement permet également un jeu de reflets du paysage ferroviaire dans la façade sud, jeu très visible depuis le périphérique et le boulevard du Général-Jean-Simon. Par cette approche, ces tours deviennent plus présentes dans la perspective de l’avenue de France, d’autant plus qu’elles sont en bordure du périphérique. Leur expressivité est affirmée car elles sont en stricte limite du périphérique, leur inclinaison apportant une dynamique particulièrement visible depuis le flux de ce boulevard.
La Tour Duo 2 est mixte : bureaux, commerces, hôtel. Comment avez-vous composé avec ces différentes fonctions pour concevoir des espaces qui vivent jour et nuit ?
La Tour Duo 2, la plus petite, est située le long du boulevard du Général Jean Simon. Elle est donc plus urbaine. Elle peut ainsi accueillir des commerces à son pied, offrir des terrasses accessibles, des fenêtres ouvrables éloignées de l’activité du boulevard périphérique. Le principe essentiel de la proposition urbaine du programme – la fracture médiane et la place centrale entre les deux immeubles avec une inclinaison en V – permet une ouverture pour entrevoir les bâtiments et l’activité de l’autre côté du périphérique.
Vue en plan 3D des Tours Duo, imaginées et conçues par les Ateliers Jean Nouvel
Simulations graphiques des Tours Duo dans le paysage parisien alentour.
Maquette des Tours Duo exposée au Pavillon de l’Arsenal en 2012 pour le concours B3A remporté par Jean Nouvel.
Pourquoi est-il important que les espaces soient ouverts et accessibles au public ?
Ces deux immeubles essaient d’amplifier le plaisir d’être là. Ils vont chercher les vues, accueillent des arbres et des arbustes sur leur terrasse. Pour l’immeuble hôtel, une grande terrasse orientée vers la Seine et le Paris historique, couverte et protégée du vent, constitue le toit du restaurant panoramique. Son sommet devient un panorama, ainsi qu’un espace de rencontres, une nouvelle destination accessible à tous.
Ces immeubles, comme deux personnages penchés, sont identifiables par leur « tête » désaxée, avec des volumes indépendants donnant une sensation visuelle d’équilibre subtil et de mouvement. Pourquoi ce choix esthétique pour des immeubles de grande hauteur ?
Les immeubles de grande hauteur environnants construits dans les années 1970 sont étêtés, leurs toitures terrasses ne sont pas accessibles. Nous avons construit un sommet et même deux sommets. Un sommet a une tête, un profil qui l’identifie. C’est pour cela que les deux têtes de nos deux protagonistes sont expressives, vivantes, que ce Duo dialogue et qu’il parle aussi à ses voisins…
Architecte des Tours Duo
Focus : jeux sur les couleurs et l’environnement alentour
Les Tours Duo s’inscrivent pleinement dans leur environnement en reflétant les couleurs du quartier. En effet, les façades se distinguent par les nuances employées sur les vitrages : alors que le doré reprend la tonalité de l’avenue de France, le vert, lui, fait référence à l’immeuble d’habitation situé en face des tours. La couleur cuivrée du hall, des sanitaires et du belvédère – dont certaines parties sont faites en acier Corten – rappelle, quant à elle, les voies ferrées encore très présentes dans le secteur.